DEMAIN REVIENT
est une exposition
réalisée sur carton découpé
dont le catalogue
est édité chez
VERTICALES
dans la collection
MINIMALES
accompagné d'un CD
de 42 minutes








ATTENTION TRAVAUX!

La lecture est une route enchantée.
L’écrivain est son cantonnier.

LE CERF VOLANT

J’avais un pote au village. Les jours de grand vent, il devait enfiler un costume de cerf-volant que son père lui avait confectionné et grimper sur un tabouret dans le jardin. Il devait ensuite se tenir debout, les bras écartés, face au vent tout comme s’il était un cerf-volant paré à décoller. C’était son père qui voulait. Son père, il tenait les ficelles et l’encourageait à s’envoler dans les airs. « Vole mon joli Cerf-Volant ! » La raison c’était qu’il n’avait pas eu de cerf-volant quand il était petit, son père. Je me planquais dans les fourrés pour observer la scène. À part le vent dans leurs cheveux, c’état plutôt statique. Le père semblait rêver à tout ce qu’il avait raté quand il était gosse. Dans sa tête, ça devait donner des phrases du genre « on ne peut pas revenir en arrière » ou « on ne refait pas le passé »… etc. La séance durait aussi longtemps que le père ressassait. Pendant ce temps là, mon pote sur son perchoir pensait qu’il était en train de rater un épisode de Rintintin.
Je le croise parfois mon pote en ville les jours de grand vent. On s’arrête pour évoquer de ce bon vieux temps. On rigole. Puis il continue sa promenade en tirant sur la laisse de son vieux père et lui crie joyeusement :«Allez viens Rintintin!»

ILS VECURENT HEUREUX ET EURENT 101 ENFANTS


Qui n’a jamais rêvé d’une rencontre à la 101 dalmatiens ? L’âme sœur au bout d’une laisse qui s’emmêle à la vôtre. Comme deux lianes dans la savane. L’instant d’avant, dans votre cœur, c’est la toundra. Balayée par le blizzard. La seconde d’après, la nature gorgée de sève au zénith du soleil fait péter les bourgeons comme des bouchons de champagne un soir de finale où la France gagne. Boum ! L’amour en pleine gueule. La providence livre à domicile. Sans préméditation. L’amour parfait. Comme le crime. Pas de mobile. Pas de témoin. Partout à la une : « Les victimes étaient consentantes ! ». Au 20 heures : « Le coup de foudre érigé en sport national. Des demandes d’asile par millions. Un ministère de l’amour est à l’étude. » Du coup, dans la rue, des promeneurs hagards attendent le télescopage fatal. La rencontre au sommet du septième ciel. Le tête-à-tête qui tue ! Vite à vos chiens ! A vos laisses ! A vos amours ! Aaaaaah ! Walt Disney !

L'ARGENT

Pour soulager
son porte-monnaie
promener sa tune
au clair de lune.

Tirer sa liasse
du bout d’la laisse.
Guili museau.
Lui dire t’es beau.

Jeter un os
dans une impasse.
Dresser son blé
à rapporter.

Un vrai placement
à mille pour cent.
Ca va tomber
comme chez Messier.

Un gros popot ?
Mieux qu’au loto !
Lève la papatte !
Epate papa !

Pousse donc un brin.
Chie des talbins !
Envoie la braise
Coule moi du bronze.

C’est bien Trésor !
C’est pas encore
des lingots d’or,
mais bel effort.

Vite ramasser
matière fiscale.
Comme dit l’banquier
« L’argent c’est sale ».

Croiser l’voisin
qu’on connaît d’loin.
Un p’tit porteur,
un sans odeur.

Lui dire bonsoir
changer d’trottoir
Allez, rentrons !
Coucouche pognon.

Demain y’a bourse,
faut s’reposer.
Demain c’est l’tour
De mon chéquier.

HOMME VEULE CHERCHE FEMME EN RAPPORT

Ca fait 10 ans que j’ai le projet de m’inscrire à un club de gym. Un de ces endroits où l’on sculpte son corps avec des engins à poulies, à ressort ou à piston. La seule chose que j’aie musclé en 10 ans c’est ma mauvaise conscience. Tiens touche ! Du béton !
En général j’échafaude ce projet d’inscription pendant les vacances d’été. Vautré au bord d’une piscine ou sur une plage de sable fin, pendant que les vagues fouettent les rochers de mille rouleaux, je me fouette le moral de mille bonnes raisons pour aller suer beaucoup d’eau, et peut-être un peu de sang, sur des engins qui ont forgé toute la dynastie des Rambos.
Mais quand je rentre à la maison, les vagues de l’euphorie ne sont plus là pour fouetter mon océan de bonnes intentions. Et le soufflet est retombé, alors que ma brioche a plutôt gonflé.
Pourtant ça paraît simple. Petit un : je m’inscris. Petit deux : j’y vais. Petit trois : j’y retourne. Et bien ça ne marche jamais. A mon avis, il doit manquer quelque chose avant mon petit un, genre acheter des baskets ou trouver l’adresse d’un club et un plan pour y aller ou n’avoir carrément rien de mieux à faire pendant une heure que d’aller en baver sur un machine hostile, métallique - et sans doute noire et froide - dans une salle jaune citron, éclairée au néon et qui sent la transpiration rance des 200 beaufs bedonnants et dégarnis qui sont passés le matin même avant moi et à qui l’agence matrimoniale a vivement conseillé quelques séances de body building s’ils veulent qu’on leur présente des partenaires sexy qui aiment les conversations en tout bien tout honneur sur leur hobby préféré, à savoir la télé, mais qui raffolent encore plus des tee-shirts moulants avec plein de muscles huilés à l’intérieur.
10 ans ça fait un compte rond. Il est temps que je passe à autre chose pour occuper mes vacances.

ÔDE AU VELO


Avoir un beau vélo. Un qu’on aime bien. Un confortable. Selle royale. Guidon moumousse. Vitesses faciles. Lui dire gentil « On va aller se promener tous les deux. Prépare toi » S’habiller cool. Froc avachi. Poches trouées. Panards à l’air. Dehors. Faire beau. Prendre à l’envers rue Saint Lambert. Et dans le vent la rue Saint Jean. Ca pédale bien. Sans les mains. Allée des trams. Jusqu’au canal. Suivre l’eau. C’est beau. Moelleux. Encore un peu. Faire la danseuse. Transpirer. Avoir soif. Poser le pied. Le vélo au poteau. Antivol. Supermarché. Rayon frais. Fanta orange pour moi cher ange. A la caissière un mot pour rire « je sais que c’est la caisse pour les femmes enceintes mais la mienne attend son quatrième » Ca dépend comment c’est dit. Sortir en nage. Boire au goulot. Tête renversée. Dire à part soi « Ca fait du bien de boire un c… » S’interrompre car on vient de voir l’antivol force sept tranché net qui pendouille comme un con au poteau devant des gens qui passent et s’en foutent. S’énerver. Se calmer. Rentrer à pied. Au plus pressé. Rue Sainte Catherine. Place Stanislas. L’humeur se gâte. Le ciel aussi. Nuages. Orage. Pleuvoir. Rincé. Serrer les poings dans ses poches mouillées. Mon beau vélo aussi devenait idéal.

CADILLAC

S’il avait une Cadillac, elle serait rose.
Rose comme le permis.
Le permis qu’il n’avait pas non plus.

AU THEATRE CE SOIR


– Nathalie ! je suis tellement heureux de passer ce week-end en tête à tête avec vous, loin des vicissitudes citadines et des contraintes professionnelles. Loin des regards moqueurs et des dossiers en retards, dans cette maison si paisible où vécut ma grand-mère. C’était une femme merveilleuse. Toute en nuances et en délicatesses. Une sorte de dépositaire de la sagesse populaire. Avec dans les yeux ce que des générations et des générations d’ancêtres y avaient déposé de bon sens et de tradition. Avec aussi à la bouche, quand l’horizon de mes certitudes semblait aussi sombre qu’une nuit sans lune, un mot réconfortant, une bienveillance, comme une douceur déposée dans le cartable de l’écolier pour l’heure de la pause. C’est ainsi qu’elle me disait souvent, mon petit Jean-Louis, une table n’est jamais trop grande pour ses amis tant qu’on trouve la nappe qui la recouvre. N’est-ce pas délicieux ?
_ La mienne ne m’a appris qu’une chose : me méfier des casses-couilles dans votre genre.

LE SAPIN

Cette année c’est Didier qui fait le sapin.
Et Sylvain le peint.

LES SOURIS DANSENT

Je ne suis pas très chat. Je serais plutôt chien, mais je les crains. Ils le sentent confusément car ils me mordent régulièrement la couenne.
_ Je ne comprends pas, il est très gentil avec moi me rassure en général le propriétaire. Vous avez dû faire quelque chose pour l’effrayer. Un animal qui se sent traqué attaque toujours.
Traqué par ma peur sans doute…
Je préfère m’éloigner craignant d’effrayer le maître à son tour car tout le monde sait qu’un maître qui se sent traqué… on connaît la suite et me faire mordre une fois suffit. Les chiens sont souvent mieux vaccinés que les maîtres.

Je ne suis pas très cuisine non plus. Les enfants le sentent confusément qui me rassurent à leur tour en me disant qu’ils mangeront mieux ce soir.

L'AMPOULE

Il y a des gens qui pensent qu’ils n’y arriveront jamais.


Et ils s’arrangent pour que ça devienne vrai.

LE PIPO

J’ai appris la musique, ou ce que je sais d’elle, sur un bout de papier sans portées. Des notes écrites en toutes lettres : DO RE MI FA SOL LA SI.
Il avait neuf ans et moi dix. Peut-être. Il apprenait la clarinette à l’harmonie municipale. Et moi non. Je l’avais trouvé gentil de recopier pour moi en langage clair les portées compliquées de ses partitions.
A l’heure de la sieste je m’échappais avec le gros vélo de papa à selle de mobylette jusqu’en bas du village, à la rivière. Là je descendais sur les piles du pont. C’était pas un endroit dangereux, ça faisait juste un peu risqué. Et je sortais mon pipo en bambou acheté aux Sables-d’Olonne pour jouer dans un souffle concentré GE DU BON TA BA.
Mon public c’était le village. Le village endormi sur ses deux oreilles à l’heure de la sieste.

LA ROUTE DU PAIN

J’achète souvent un pain italien qui s’appelle ciapo.
Tout à l’heure, en rentrant de la boulangerie, je croise une fille sur le trottoir. Une belle brune, type méditerranéen. Elle s’esclaffait dans son portable à l’arrêt de bus avec le même rire idiot et envoûtant qu’ont les filles dans les films italiens des années cinquante quand elles se moquent des branleurs sur leur vespa. Il y avait aussi dans son rire le même petit décalage que dans les projections des ciné-club entre l’image et le son. Sa bouche était grande ouverte bien avant que le rire n’en sorte. Puis quand elle se fermait, on entendait encore : « Ah ! Ah ! Ah ! »
Le passage piéton est passé trois fois au vert, mais moi je suis resté sur place, scotché à sa bouche.
Son bus est arrivé et ils sont partis ensemble.
Alors je suis passé de Marcello Mastroiani dans la Dolce Vita à Eddy Mitchell dans son minable cinéma de quartier en démolition quand le rideau tombe sur l’écran de la dernière séance et que les lumières blafardes se rallument sur des mines déconfites.
On avait mis un parking de super marché à la place de mon ciné-club et on avait piqué les deux roues de ma Vespa.

Je crois que ciapo, en italien, ça veut dire : on ne frappe pas une femme même avec de la mie de pain.
Non je déconne.
N’empêche, quand je pense qu’en France on marche encore à la baguette.

VOUS NE TROUVEZ PAS QUE DENISE GLASER ET ANNIE CORDY ONT UN AIR DE FAMILLE?

Vous, je sais pas, mais moi, c’était toujours le crayon de couleur jaune qui faisait défaut dans ma trousse. Celui avec lequel j’aurais pu colorier le soleil, le bouton d’or, le beurre ou même le cheval. (Quoi, ça se peut un cheval jaune. Un cheval chinois). Mais jamais de crayon de couleur jaune dans ma trousse. Résultat des courses (de cheval), je coloriais le soleil en vert, les boutons d’or en rouge, le beurre en bleu et pour le cheval (de course), coup de bol, j’avais un crayon de couleur pie. Bref, on trouvait que j’avais des prédispositions artistiques.
C’est comme la fois où Denise Glaser recevait Annie Cordy dans son émission du dimanche midi entre « Le jour du Seigneur » et « La séquence du spectateur ». Comment ça s’appelait déjà ? Ram Dam ? Dim Dam Dom ? Non, Discorama. C’est ça. Bref, ce jour-là j’avais essayé de dessiner Denise Glaser. Et finalement tout le monde avait trouvé que mon portrait d’Annie Cordy était très ressemblant. Mon silence embarrassé avait sans doute laissé penser que ma modestie naturelle était mise à mal. Que nenni ! J’en avait conclu qu’une fois livrée au public, l’œuvre vous échappe complètement.
En conclusion, et pour renouer le file de ma pensée, ce que je veux dire c’est que si on n’a pas de jaune, Annie Cordy peut faire l’affaire.
Je me demande même si Picasso n’a pas déjà dit un truc dans le genre.

ET TOC!

Il ne suffit pas d’avoir été un enfant pour devenir un adulte.

COMMENT DIT-ON "PAN! PAN!" EN MARSEILLAIS?

Peter me dit tu veux que je te raconte l’histoire de cette photo ?
Je dis oui. Il me dit c’est quand Gary Cooper a rendu visite à Picasso, il lui a offert un chapeau de cow-boy et un pistolet.
Sur la photo, on voit Picasso, la clope au bec, qui tient le pistolet en l’air en se marrant. Le chapeau enfoncé jusqu’aux oreilles le fait ressembler à un lampadaire. Il joue comme un gosse et vient sans doute de dire « Pan ! Pan ! » avec l’accent espagnol. L’autre se cache derrière une toile et fait « Pan ! Pan ! » avec l’accent américain.
Maintenant quand je regarde cette photo, je suis un peu Gary Cooper qui vient de faire un cadeau à Picasso. Et je fais « Pan ! Pan ! » avec l’accent lorrain.
Je me demande s’il existe une photo de Gary Cooper avec une palette et un pinceau. Je me demande aussi ce que ça aurait donné s’il avait plutôt reçu la visite de Fernandel ce jour-là ?

FINALEMENT PLUTÔT FADE


La fourmi est discrète. Elle ne crie pas. C’est un avantage. Ce soir une petite brunette avec une tête à s’appeler Shirley tombe de mes cheveux au moment où je m’assieds à mon bureau. Je tends d’abord un index exterminateur, puis me ravise. Elle s’échappe entre mon encrier et le gros volume rouge de la Gana qu’elle escalade à la verticale. Elle longe la boîte de compas, s’arrête pile au bord et se penche un instant sur un ticket de cinéma pour en saisir les bonnes vibrations car c’est une fourmi cinéphile. J’approche ma grosse tête au-dessus d’elle. Elle trottine encore sous mes gros yeux, sous mon gros nez, ma grosse bouche, ma grosse langue. Elle me fait saliver. Ca a quel goût un fourmi ? Je tends un peu plus la langue vers elle. Transpire-t-elle ? A-t-elle une dernière pensée ? Abrégeons. Je la mange. Pas un cri. La fourmi est discrète. C’est un avantage.

CHAQUE FOIS.

Chaque fois que je commence un texte par « je », je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est mal poli.
Chaque fois que je passe devant ma boulangerie avec une baguette que j’ai achetée ailleurs, je la cache pour ne pas vexer mon boulanger.
Chaque fois que je vois une flaque d’eau, je marche dedans et je regarde les traces que laissent mes chaussures.
Chaque fois que je croise un chien, je pense à avoir peur.
Chaque fois que je prends une douche, je coupe l’eau quand je me savonne.
Chaque fois que je remets de l’encre de chine dans mon encrier, j’appuie sept fois sur la recharge en pensant à mon petit frère qui était le septième enfant de la famille.
Chaque fois que j’arrose la terre ça sent bon.

SEUL SUR SON NIL.


Poupon sur le toit de la maison fait des boules de fumée comme des bulles de savon. Il est seul face à sa mission. Porte-parole de toute une nation. Descendant de Pharaon. Son message aux enfants de Pluton doit traverser la couche d’ozone en passant par les trous de la pollution. L’ordonnance cosmique dépend de la connexion. . Le message est simple : « L’homme est dangereux. Faites attention ! »

Dans la cuisine, maman s’inquiète. Le fond de l’air est frais. Et ce matin, Poupon toussait… Enfin quoi, on ne monte pas sur le toit d’une maison sans emporter une petite laine !

Poupon redouble d’attention. Toutankhamon lui envoie une autre mission. Dire aux enfants de Planète-Terre que ceux de Pluton sont leurs amis. Dans trois générations, ils formeront ensemble une nouvelle civilisation. La mission est simple : « Envoyer des boules de fumée pour l’annoncer aux nourrissons. »

Dans l’atelier, papa bougonne. C’est bientôt l’heure de manger et le gamin n’est toujours pas descendu de sa tour de contrôle. Il va encore falloir sortir l’échelle. C’est plus de mon âge de jouer au pompier.

Poupon est fier de sa nouvelle mission. Moins compliquée que celle d’Akhénaton : la momification de papa et maman. Là il avait dit non. Maman fait du si bon bouillon et papa fait trop bien le pompier. Sur son dos, Poupon fait Pin ! Pon ! Alors pour ce qui les concerne, la consigne est simple : « Si la Terre brûle, emmener Papa et Maman sur Pluton. »

Avec l’échelle sur l’épaule, papa croise maman qui sortait pour dire « A table ! »
— Je vais chercher le gamin sur le toit. Au fait qu’est ce qu’il t’a dit Poupon ce matin dans la cuisine ?
— Qu’il avait une pyramide en construction dans la tête.
— Mmmh…Et le psy ? Il dit quoi ?
— Que ça peut partir comme c’est venu.
— Ah…Bon… ben… mets la table, on arrive. T’as fait quoi ce soir ?
— Du bouillon.

BOBINES


On en était à la deuxième bobine.

Et l’incompréhension semblait à son comble.

A QUOI TIENNENT LES PROGRESDE LA SCIENCE.


J’ai quoi ? Cinq ans ? Six ? Ce qui me turlupine c’est de ne pas savoir faire la part des choses. Je ne sais pas faire la différence entre le vrai et le faux. Quel crédit donner aux événements. Faire le distingo entre l’info et l’intox. J’ai souvent des pistes, des présomptions, voir des débuts de preuve, mais jamais de flagrant délit. Rien d’irréfutable. Ca me tourmente, mais ne vois pas de solution. Tiens, par exemple, le Père Noël. « Bonsoir les petits enfants ! » Je reconnais bien un voisin de la rue qui transpire sous le déguisement, mais le doute subsiste, je me dis qu’une ressemblance est possible. A l’école, un grand de CM2 raconte qu’il connaît des prises de judo. Je vois bien qu’il fait des gestes désordonnés à la Claude François, mais, bénéfice du doute, je fais semblant d’avoir peur, on ne sait jamais. « Demain y a interro de géo avec Ballandier. ! » C’est des crosses ou faut réviser ? « Isabelle–de–la–Poste est amoureuse de toi ! » C’est du lard ou du cochon ? « Les jumeaux du bas sont allés à la rivière et ils ont vu une Sirène à la Grande Fosse. Une vraie. Même qu’ils ont essayé de l’attraper à l’épuisette. » Je ne sais pas quoi penser mais c’est con qu’ils avaient pas un appareil photo. Et ça continue comme ça. « Ta mère chausse du deux. » T’es sûr ? « Je te pisse à la raie avec une paille de 15 mètres de long. » 15 mètres ! Ca se peut ? « Les chinois marchent la tête à l’envers. » Là, je dis « Minute papillon ! » vu que dans Lucky Luke les chinois sont blanchisseurs et marchent à l’endroit comme tout le monde. Et puis un jour c’est comme si on avait les lunettes qui font voir la vérité toute nue à traver

ALLUMONS LA TELE!


Il n’y a plus guère que devant la télévision que je retrouve la méfiance de mes cinq ans.
Quand le poste est allumé, je ne perds jamais de vue que quelqu’un essaye de me raconter une histoire.

COURAGE ET OPTIMISME

On les confond toujours.
Aéroport et aréopage.
Démis Roussos et Douanier Rousseau.
Acculer et sodomie.
Don Diego de la Véga et le senior Zorro.
Le sergent Garcia et bête comme un militaire.
L’odeur des bébés et le parfum des lingettes.
Je ne trouve pas de boulot et j’ai envie de rien foutre.
Vous êtes bien charmante mademoiselle et j’ai envie de vous.
Mes chers compatriotes et bande de cons.

ACTE MANQUE


Très franchement je ne me rappelle plus du tout à quoi j’ai pensé en faisant ce dessin. Ca devait être une histoire d’angoisse devant la page blanche . La panne de l’écrivain ? A moins que ça ne soit quelque chose autour du non-dit. Ou peut-être le poids des mots et le soulagement qu’il y a à les dire. Ou à les garder pour soi ?
Ou peut-être qu’il n’a plus d’encre dans son stylo ?
C’est bizarre, mais franchement ça ne me revient pas.

PAIX


Elle dit : ma vie elle est foutue. Quelque chose de cassé, là, dedans. Des gens ont marché dessus. On répare plus Tout piétiné. A l’intérieur, c’est le World Trade Center.. Le cœur sous les gravats. Personne peut comprendre. Personne peut aider. Ni les pompiers, ni les années. Rien va changer. Ca va brûler. Tout ravager. Va rien rester. Rien.

Et moi je dis quoi ? Moi je dis que des fois on s’imagine en capitaine de paquebot qui va sauver des naufragés. Mais on n’est que le moussaillon d’une coquille de noix qui prend même pas les passagers. On se croit drôle, mais sur la tête on n’a qu’un canotier que le vent va emporter. D’ailleurs c’est fait. On sait quoi dire. Ah ! on sait toujours quoi dire ! On va même le chanter ! Tiens, passe la guitare ! Quoi ? Elle aussi elle est cassée. Et les paroles deviennent du vent. Alors on se tait car le mieux qu’on puisse faire c’est du silence.

ABECEDAIRE DES CHOSES A FAIRE AVANT D'METTRE UN PIED DANS L'PETRIN



Dire qu’on les aime
à ceux qu’on aime.

Boire un bordeaux
Château Margot.

Appeler son chien
Jean Sébastien.

danser la nuit.
Le jour aussi.

enfoncer bien
Son regard dans le sien.

faire son affaire
au Saint Nectaire.

Mettre au garage
les problèmes d’âge.

Dire haut et fort
« Les con dehors ! »

intervenir
sur l’avenir.

Ramper jusqu’au
fond des ruisseaux.

Eh ! Toi, l’képi !
Range l’artillerie !

Lire la notice
du pain d’épice.

Sur l’eau, marcher.
Dans l’air, nager.


Voir dans le noir
qu’on peut rien voir.

Parler ordien.
Zéros et uns.

Pleurer d’la pluie
sur les radis.

quequette zobi,
cinq ans et demi.

râler qu’la pub
elle nous entube.

séduire une bègue.
Sortir son Zguègue.

toujours se croire
tigre et têtard.

Pas uriner
dans l’bénitier.

Pareil qu’une vache
avoir des taches.

J’aime pas wagner.
J’peux rien y faire.

Voir un film x.
Même en voir six.

Peigner son yack
comme Kim Novak.

Dire en zoulou
« Saucisson doux »

LACHE LE FREIN


Il avait neigé toute la nuit. Dehors la rue était blanche. Quand je suis sorti du bistrot pour prendre ma voiture, elle avait disparu sous un igloo. Un véritable igloo en parpaings de glace devant lequel se tenait un géant en peau de phoque. Un esquimau de la tribu des Inuits. Imaginez Anthony Quinn dans « Inouk ». Le colosse avait décidé d’y installer son campement sur mon véhicule.
C’est toujours délicat de déloger quelqu’un sous prétexte que votre voiture est coincée sous son igloo. C’est encore pire quand il ne parle pas votre langue. Soit vous usez d’insultes et elles restent sans effets car il croit à un jeu. Soit vous vous lancez dans des explications par trop compliquées et le rastaquouère se lasse et ne vous prête plus attention. Pour rester accommodant, je décidai donc de lui emprunter ses chiens de traîneau, ayant lu dans un « Tout l’Univers » que c’est un peuple très serviable.
Je m’approchai de l’Inuit qui se tenait devant l’igloo — et de par le fait devant ma voiture — et lui articulai lentement, avec moult mimiques illustratives :
— Pour-riez-vous-me-prê-ter-vos-chiens-s’il-vous -plaît ?
— Ecoutez, je suis un peu embêté de vous répondre ça, mais j’ai encore une livraison de produits surgelés à finir et ma femme m’a demandé de ne pas rentrer trop tard histoire d’avoir le temps de passer au super marché pour faire les courses de la semaine. Alors si je vous prête les chiens ce matin, ça va reporter les courses à la semaine prochaine et c’est typiquement le genre de contre temps qui plombe l’ambiance à l’igloo. Je dirais même, si je ne craignais pas d’être un peu lourd, que ça jette un froid… Me répondit-il sans le moindre accent.
Le salaud ! Non seulement il ne voulait pas me prêter ses chiens, mais en plus il parlait parfaitement notre langue. Alors là, puisqu’il me comprenait, il allait m’entendre !
— Dis donc « Joli Cône » ça te ferait rien de dégager ma bagnole ? Tu te crois sur ta banquise à squatter un iceberg ? Monsieur « Bûche glacée » joue les envahisseurs ! Mais laisse-moi te dire que je ne suis pas un bébé phoque ! Casse toi de là ou bien….
Et là il y a eu un grand flash lumineux. Comme une boule de neige en pleine face.
Quand j’ai enfin pu ouvrir un œil au beurre noir, j’ai cru qu’un ours blanc était penché sur moi. Mais c’était l’infirmier des urgences. Il m’a expliqué que le livreur de MAXI MO était désolé d’avoir frappé si fort. Qu’avec son boulot, il était bien obligé de se garer en double file et que j’aurais pu avoir un peu de patience.


JE SUIS EFFUSIONNEL

La première fois que j’ai assisté à une séance de cinéma, j’avais moins de cinq ans. C’était à la salle des fêtes de Morlaincourt. Un film de Laurel et Hardy que je n’ai jamais revu depuis où ils finissent tous les deux les pieds scellés dans des bacs de béton en demi sphère qui les fait osciller comme des culbutos. La scène confinait pour moi à l’horreur et je pleurais comme une madeleine de Commercy — où je suis né — sur le sort abominable des deux compères.
La première fois que je suis allé au restaurant c’était au Cheval Blanc de Ligny-en-Barrois — où ma tante Mariette tenait un bistrot — pour un mariage. La cérémonie était prolongée par une projection de Laurence d’Arabie. Honnêtement, l’intrigue m’a échappé. Mais pas la scène où Omar Sharif dénoue son turban et le jette à un pauvre bougre qui s’enlise inexorablement dans les sables mouvants. Mon désespoir était à son comble et mes larmes, ce soir-là, auraient inondé le Sahara.
La première fois que la télévision est entrée à la maison c’était à Onville — où j’ai grandi — dans la vallée du Rupt-de-Mad. Un dimanche midi « La Séquence du Spectateur » diffusait un extrait de film où un monsieur, occupé à son bureau, face caméra, se faisait cambrioler par deux crétins affublés de collants moule burnes tels des frères Jacques qui auraient mal tourné. Ils avaient la dégaine de Gros Minet quand il s’approche de Pt’it Titi pour le bouffer . Et l’homme au bureau ne les entendait pas !… L’affaire, une fois de plus, était cauchemardesque. Malheureusement, mes pleurs ne réussirent pas à alerter le pauvre homme ainsi détroussé sous mes yeux.
La dernière fois que je suis allé au cinéma c’était au Caméo à Nancy — où je vis — pour voir « Être et avoir ». Dans une scène en extérieur, Nathalie, assise sur une marche avec le maître, se fait vraiment du souci pour son changement d’école à la rentrée suivante. Son chagrin crève tellement l’écran qu’en y repensant ce matin j’ai de nouveau les larmes aux yeux.