JE SUIS EFFUSIONNEL

La première fois que j’ai assisté à une séance de cinéma, j’avais moins de cinq ans. C’était à la salle des fêtes de Morlaincourt. Un film de Laurel et Hardy que je n’ai jamais revu depuis où ils finissent tous les deux les pieds scellés dans des bacs de béton en demi sphère qui les fait osciller comme des culbutos. La scène confinait pour moi à l’horreur et je pleurais comme une madeleine de Commercy — où je suis né — sur le sort abominable des deux compères.
La première fois que je suis allé au restaurant c’était au Cheval Blanc de Ligny-en-Barrois — où ma tante Mariette tenait un bistrot — pour un mariage. La cérémonie était prolongée par une projection de Laurence d’Arabie. Honnêtement, l’intrigue m’a échappé. Mais pas la scène où Omar Sharif dénoue son turban et le jette à un pauvre bougre qui s’enlise inexorablement dans les sables mouvants. Mon désespoir était à son comble et mes larmes, ce soir-là, auraient inondé le Sahara.
La première fois que la télévision est entrée à la maison c’était à Onville — où j’ai grandi — dans la vallée du Rupt-de-Mad. Un dimanche midi « La Séquence du Spectateur » diffusait un extrait de film où un monsieur, occupé à son bureau, face caméra, se faisait cambrioler par deux crétins affublés de collants moule burnes tels des frères Jacques qui auraient mal tourné. Ils avaient la dégaine de Gros Minet quand il s’approche de Pt’it Titi pour le bouffer . Et l’homme au bureau ne les entendait pas !… L’affaire, une fois de plus, était cauchemardesque. Malheureusement, mes pleurs ne réussirent pas à alerter le pauvre homme ainsi détroussé sous mes yeux.
La dernière fois que je suis allé au cinéma c’était au Caméo à Nancy — où je vis — pour voir « Être et avoir ». Dans une scène en extérieur, Nathalie, assise sur une marche avec le maître, se fait vraiment du souci pour son changement d’école à la rentrée suivante. Son chagrin crève tellement l’écran qu’en y repensant ce matin j’ai de nouveau les larmes aux yeux.