LA ROUTE DU PAIN

J’achète souvent un pain italien qui s’appelle ciapo.
Tout à l’heure, en rentrant de la boulangerie, je croise une fille sur le trottoir. Une belle brune, type méditerranéen. Elle s’esclaffait dans son portable à l’arrêt de bus avec le même rire idiot et envoûtant qu’ont les filles dans les films italiens des années cinquante quand elles se moquent des branleurs sur leur vespa. Il y avait aussi dans son rire le même petit décalage que dans les projections des ciné-club entre l’image et le son. Sa bouche était grande ouverte bien avant que le rire n’en sorte. Puis quand elle se fermait, on entendait encore : « Ah ! Ah ! Ah ! »
Le passage piéton est passé trois fois au vert, mais moi je suis resté sur place, scotché à sa bouche.
Son bus est arrivé et ils sont partis ensemble.
Alors je suis passé de Marcello Mastroiani dans la Dolce Vita à Eddy Mitchell dans son minable cinéma de quartier en démolition quand le rideau tombe sur l’écran de la dernière séance et que les lumières blafardes se rallument sur des mines déconfites.
On avait mis un parking de super marché à la place de mon ciné-club et on avait piqué les deux roues de ma Vespa.

Je crois que ciapo, en italien, ça veut dire : on ne frappe pas une femme même avec de la mie de pain.
Non je déconne.
N’empêche, quand je pense qu’en France on marche encore à la baguette.